mercredi 16 mai 2012

La Réforme de l'enseignement du dessin (M. Pellisson, 1909)


Cet article de Maurice Pellisson est paru dans la Revue pédagogique, tome 54, premier semestre 1909.

  La Réforme de l’Enseignement du Dessin

Le Conseil supérieur de l’instruction publique, dans sa dernière session, a examiné et adopté de nouveaux programmes pour l’enseignement du dessin dans les lycées et collèges de garçons et de jeunes filles. Il ne s’agit pas ici de simples remaniements et retouches. A la méthode qui, depuis bientôt trente ans, était la méthode officielle, on substitue une méthode, non seulement nouvelle, mais contraire; c’est une réforme d’ensemble et fondamentale. Il vaut donc la peine de rappeler les circonstances qui l’ont préparée, comment elle a abouti, et de marquer en quoi précisément elle consiste.
I
C’est seulement depuis 1853 que le dessin a une place dans le cadre des disciplines universitaires. Cette année-là, un arrêté du 21 juin nomma une commission chargée de présenter au ministre de l’Instruction publique, qui était alors Fortoul, un plan d’études pour l’enseignement du dessin dans les lycées. Par un règlement du 29 décembre 1853, le programme élaboré et qui avait été précédé par un rapport de Ravaisson fut rendu exécutoire.
Sans vouloir la juger à d’autres égards, il faut dire que cette première démarche eut surtout le défaut d’être très incomplète : on créait un nouvel enseignement, mais on ne se préoccupait pas du recrutement des maîtres qui devaient le donner, et on ne leur attribuait qu’une situation fort au-dessous du médiocre. On pourrait dire que les nominations de professeurs de dessin se firent alors au hasard, si, le plus souvent possible, on n’avait donné la préférence à d’anciens élèves de l’École des Beaux-Arts. Mais ceux-là mêmes étaient, en général, des artistes qui avaient trouvé le succès rebelle et ne tenaient l’enseignement que pour un pis-aller. Jamais, au reste, personne ne leur avait appris à enseigner et l’état d’infériorité où on les avait placés vis-à-vis de leurs collègues était peu fait pour leur inspirer le goût de leur nouvelle profession. Eussent-ils eu à mettre en œuvre les programmes les plus parfaits, il y avait bien peu de chances pour que, dans ces conditions, ils pussent obtenir des résultats. En fait, ils n’en obtinrent pas, comme le savent ceux qui étaient sur les bancs du lycée en ce temps-là[1]. L’enseignement du dessin, ce fut alors une étiquette, pas autre chose.
Cependant les expositions internationales qui se succédaient montraient à la France que presque tous les peuples se préoccupaient de plus en plus d’organiser et de développer cet enseignement à tous les degrés, que partout, de plus en plus, on tendait à considérer le dessin comme une partie essentielle de l’éducation générale. Notre pays où, depuis 1871, se manifestait une sorte de ferveur pédagogique, ne pouvait rester indifférent à ce mouvement; et il se mit à y participer en 1879. Cette fois, suivant les leçons de l’expérience, on commença par le commencement : avant de rédiger des programmes, on prit des mesures pour former un personnel qui serait en état de les appliquer. Bardoux étant ministre, un arrêté du 31 janvier 1879 institua le corps des inspecteurs de l’enseignement du dessin et, immédiatement, une première inspection fut faite dans toute la France par les 19 inspecteurs nommés. Cette inspection, qui eut plutôt le caractère d’une vaste enquête, se proposa pour objet de faire connaître quelles étaient les ressources, surtout en hommes, dont on pouvait disposer, quels étaient les besoins, quelles les lacunes. Presque en même temps s’ouvrait une première session d’examen pour l’obtention du diplôme de professeur de dessin; de plus, un Musée pédagogique de l’enseignement du dessin était créé et installé dans les bâtiments de l’Administration des Beaux-Arts[2]. C’est seulement après tout ce préalable que Jules Ferry, qui avait succédé à Bardoux au ministère de l’Instruction publique, nomma une grande commission d’étude dont la tâche consista, après avoir dépouillé les résultats de l’enquête des inspecteurs généraux, à étudier les méthodes en usage, à les discuter et à dégager de cette étude une méthode définitive, à rédiger les programmes et à dresser la liste des modèles considérés comme étant les meilleurs pour mettre en pratique la méthode et les programmes proposés[3].
Après examen, la commission d’étude fixa son choix sur la méthode que préconisait le sculpteur Eugène Guillaume : on la connaît sous le nom de méthode géométrique et cette désignation, suffisamment explicite, est en même temps fort juste. Voici, en effet, ce qu’Eugène Guillaume écrivait dans un article publié, il y a près de trente ans, dans le Dictionnaire de Pédagogie. « Dans le monde on ne pense le plus souvent au dessin que pour le considérer dans ses applications aux beaux-arts. On ne sait pas que c’est avant tout une science qui a sa méthode, dont les principes s’enchaînent rigoureusement et qui, dans ses applications variées, donne des résultats d’une incontestable certitude. Or aucune certitude ne doit être négligée et devenir vaine, et s’il existe véritablement un ensemble méthodique de règles au moyen desquelles on arrive à exécuter avec sûreté tous les tracés possibles, il est évident que la connaissance et la pratique de ces règles doivent former la base de l’enseignement du dessin... La géométrie, en nous enseignant que les surfaces et les solides sont bornés par des lignes, nous donne l’idée la plus claire et la plus complète du dessin, qui réside dans les contours... En dernière analyse, dans la pratique comme dans la théorie, il faut reconnaître que la géométrie est la base de la science du dessin. » C’est d’après ces principes que furent rédigés les programmes non seulement pour les lycées et collèges, mais pour les écoles primaires élémentaires, les écoles primaires supérieures, les écoles normales d’instituteurs et d’institutrices; c’est la méthode Guillaume qui, depuis 1880, a été la méthode officielle dans tous les établissements d’instruction publique en France.
Qu’elle ait rendu des services, on ne saurait le contester. Grâce elle, l’enseignement du dessin est sorti de l’état inorganique où il était longtemps demeuré. Voilà le résultat qu’on ne put pas ne pas reconnaître lors de l’Exposition universelle de 1889 ; voilà ce que M. J.-J. Pillet, un lieutenant d’Eugène Guillaume, constatait avec une satisfaction légitime : « Dans toutes les écoles de France, écrivait-il, on enseigne le dessin d’après un seul programme, et les professeurs, jadis désunis et livrés à eux-mêmes, forment un personnel qui compte parmi les mieux recrutés et les plus sévèrement contrôlés[4] ». Et il ajoutait : « Pourvu que l’on continue dans la même voie, que l’on ne laisse pas s’endormir les bonnes volontés, et surtout que l’on ne change rien aux programmes, on peut affirmer que le moment est proche où les résultats les plus sérieux de tant d’efforts accomplis vont être obtenus, seront constatés, par la nation et se manifesteront par un élan puissant imprimé à la production industrielle et artistique du pays ».
Tout en ne disant rien que de juste du personnel formé nouvellement, M. Pillet se faisait illusion sur l’avenir de l’enseignement du dessin tel qu’il était donné. L’heure approchait où ces programmes, qu’il souhaitait voir établis ne variatur, allaient être battus en brèche. A l’heure même de son triomphe, la méthode d’Eugène Guillaume avait été critiquée vivement par Ravaisson : « Les figures des êtres vivants ou, ce qui est la même chose, organisés, ne pouvant se calculer ni se construire rationnellement, comme celles qui ressortissent à la géométrie, nous les estimons par une action indécomposable de l’intelligence tout autre que la déduction dont se servent les mathématiques, action qu’on appelle soit intuition, d’un terme qui signifie vue, soit jugement, soit sentiment... Si l’on recherche ce que furent les premières ébauches de l’art grec, où apparut tout d’abord le caractère de son génie, on verra que ce ne furent point des figures froidement régulières comme celles auxquelles est bornée la géométrie, mais des imitations de choses vivantes, avec les formes souples et vivantes qui leur sont propres. Pourquoi donc imprégner d’abord l’imagination de l’idée de la plus pauvre et de la plus aride des figures à laquelle elle inclinera toujours par suite à ramener toutes les autres[5] ? » Telles étaient les objections que Ravaisson, aux environs de 1880, élevait contre la méthode géométrique. Il est vrai que, par une inconséquence singulière, ce partisan de la méthode intuitive finissait par déconseiller l’étude d’après nature, au moins au début : « Les premiers modèles ne peuvent guère être empruntés à la nature, comme on l’a quelquefois proposé. Pour ne rien dire de la variété des couleurs, qui y rend les formes et le clair-obscur difficiles à saisir, les objets naturels offrent presque toujours trop d’imperfections. »
Il est vrai aussi que, grand métaphysicien, Ravaisson n’était
pas un professionnel du dessin. On ne l’écouta donc point.
Mais, lorsqu’on entendit nombre d’industriels se plaindre que les jeunes gens formés par la méthode officielle dessinaient très médiocrement, on commença à s’inquiéter ; lorsqu’on s’aperçut du meilleur succès obtenu avec les programmes de dessin de la Ville de Paris, qui procèdent plus de la méthode expérimentale que de la méthode géométrique, cela donna fort à penser.
D’autre part, le personnel enseignant, par cela même qu’il avait été amélioré, devenait moins disposé à rester inerte et passif. Plus instruits que par le passé, mieux préparés à leur tâche, les professeurs de dessin avaient meilleure opinion de leur rôle, prenaient plus de goût à leur métier. Longtemps isolés, ils éprouvaient le besoin de se grouper ; l’Association des professeurs de dessin de la Ville de Paris date de 1897 et bientôt, à son exemple, des Amicales du même genre se formèrent dans plusieurs ressorts académiques. En se rapprochant ces maîtres, longtemps muets, ne purent plus se tenir bouche close ; ils souhaitèrent pouvoir se communiquer leurs expériences et leurs idées ; un journal spécial fondé en 1897, le Moniteur du Dessin, devint pour eux une sorte de tribune pédagogique. Le Congrès international de l’Enseignement du dessin, tenu à Paris lors de l’exposition universelle de 1900, fit voir que ce personnel n’était plus à l’état de poussière, qu’il était capable de discuter et de travailler en commun. A vrai dire, dans ce Congrès, il ne se produisit pas de critique directe de la méthode Guillaume; mais on put pressentir qu’elle perdait du terrain, en voyant avec quelle faveur on accueillit les rapports de certains délégués étrangers qui exposaient les méthodes fort différentes en usage dans leurs pays. Le Congrès international de Berne, en 1904, fortifia cette impression. Dans la préface du Compte rendu de ce Congrès (Fribourg, 1905), le président du Comité d’organisation, M. Léon Genoud, écrit ce qui suit : « On a pu constater au Congrès de Berne que l’enseignement du dessin a été, depuis quelques années, l’objet d’une vraie révolution dans la plupart des pays du monde. Presque partout l’enfant a été mis en présence de la nature ; on lui fait observer ce qui l’entoure ; on l’habitue à se servir du dessin comme de la langue, même pour rendre compte d’une anecdote ou des grands faits de l’histoire[6]. » Enfin, au premier Congrès national de l’Enseignement du Dessin, tenu à Paris en 1906, les adversaires de la méthode géométrique remportèrent un avantage signalé : M. Pillet, Président du Congrès, à l’issue de la session, demanda que la méthode intuitive, pour laquelle M. Quénioux, professeur à l’École des Arts décoratifs, faisait campagne depuis quelque temps, fût officiellement expérimentée ; et l’expérience, autorisée par M. le Vice-Recteur de l’Académie de Paris, eut lieu aux lycées Michelet, Lakanal et à l’École Alsacienne.
Les choses, dès lors, vont aller d’un pas plus rapide. A la fin de 1907, les professeurs de dessin, par l’intermédiaire de l’Union de leurs Amicales[7], demandèrent à M. le Ministre de l’Instruction publique de nommer une commission, composée d’inspecteurs de l’enseignement du dessin, de professeurs de l’Université, qui aurait à étudier les réformes nécessaires : réforme de méthode, des programmes d’études, des examens du professorat, de l’inspectorat. — En 1908, comme pour préparer le terrain, ont été organisées au Musée pédagogique des conférences[8], suivies de discussions, où l’on examina l’ensemble des questions qui intéressent l’enseignement du dessin. Le débat porta surtout sur la méthode intuitive, dont M. Quénioux fit un exposé très clair et très vivant, et de ce débat une conclusion au moins se dégagea de la façon la plus nette : ce fut la condamnation de la méthode Guillaume : « Même ceux, a dit M. Pottier, qui se sont présentés ici comme les partisans de cette méthode ont été aussi sévères que les autres, car ils ne défendent pas ce qui s’est fait pendant si longtemps ; ils viennent seulement plaider les circonstances atténuantes ». — La série de ces conférences venait à peine de se clore, quand, suivant le vœu de l’Union des Amicales, une commission de réforme fut nommée par M. le Ministre de l’Instruction publique, sur la proposition de M. Gautier, Directeur de l’enseignement secondaire; car, pour l’heure présente du moins, la réforme s’applique à l’enseignement secondaire seul. Composée de quinze membres, MM. Ardaillon, Catelain, Cathoire, Colin, de Fourcaud, Guébin, Luc Olivier-Merson, Pillet, Pottier, Quénioux, Rocheblave, Mmes Bastien, Silvain-Dufour, et MM. Mallet et Sabatié, secrétaires, cette commission se mit à l’œuvre sans délai et, dans un temps relativement court, put venir à bout de sa tâche. C’est le résultat de son travail, approuvé par le Conseil supérieur de l’Instruction publique, que nous allons maintenant essayer de faire connaître par une rapide analyse.

II
Les nouveaux programmes sont précédés d’un rapport rédigé par M. Pottier. Il s’ouvre par une partie critique, où il est rendu compte des raisons qui ont décidé la commission à se prononcer contre la méthode Guillaume. La critique de la commission est tout d’abord dirigée contre les principes mêmes sur lesquels cette méthode est fondée : enfermer l’enfant pendant de longues années dans l’étude des lignes et des angles, des courbes et des solides géométriques, avant de lui permettre d’aborder le dessin des formes vivantes qui, même alors, ne doivent être étudiées que d’après des estampes et des plâtres, la commission estime que, sans la chercher plus loin, on peut trouver là la cause de la stagnation de l’étude du dessin. De plus, les Instructions naguère rédigées ou, tout au moins, inspirées par Eugène Guillaume, tendaient à l’élimination presque absolue du sentiment et ne demandaient rien tant à l’élève que d’arriver à rendre l’objet sous des formes mathématiquement exactes : véritable hérésie éducative, car « au début l’étude du dessin s’adresse à des enfants très jeunes, pour qui les questions de mesures, de distances, de proportions sont encore très difficiles à comprendre, tandis que les qualités visibles de formes et de couleurs leur sont naturellement accessibles ». Le sentiment étant ainsi éliminé, le dessin ne pouvait plus être qu’impersonnel; et c’était bien à cela qu’on visait; on le concevait comme une figuration graphique « dont tous les éléments sont déterminés d’avance, comme un problème d’observation dont la solution est identique pour tous et dont les résultats sont contrôlés au moyen d’opérations d’une rigueur absolue ». Or, au gré de la commission, une telle conception du dessin est nuisible au développement éducatif de l’enfant. Car, « si l’éducation collective offre un danger, c’est assurément de jeter dans le même moule tous les esprits », et les bons maîtres sont précisément ceux qui s’efforcent de conjurer ce péril et qui y réussissent.
Après ces trois chefs d’accusation, qui touchent au fond même de la méthode Guillaume, le rapport critique sa pédagogie ou plutôt la partie de sa pédagogie relative au matériel d’enseignement, plus spécialement aux modèles. A l’heure actuelle, les classes de dessin sont souvent encombrées de solides en fil de fer ; sans prétendre qu’il faille s’en défaire, la commission considère qu’il sera bon d’en réduire le nombre. De même la liste des plâtres, qui aujourd’hui ne comprend pas moins de 174 numéros, devra être ramenée à un chiffre beaucoup moins élevé. Cette mesure s’impose d’autant plus que, trop nombreux, les modèles en plâtre ont été aussi mal choisis, si on les considère soit au point de vue historique, soit au point de vue artistique. Ici, il y a manque, là, il y a excès. Tandis, par exemple, que l’art égyptien n’est représenté que par quatre bas-reliefs, tandis qu’il n’y a pas un seul spécimen de l’art de la Chaldée, de l’Assyrie, de la Perse, on a multiplié les œuvres gréco-romaines, de l’époque hellénistique, bien plus on en a admis dont, non seulement la valeur, mais l’authenticité même a été contestée, et ce qui est encore plus grave peut-être, on ne s’est pas interdit les modèles restaurés.
L’élimination de ces œuvres douteuses permettra de faire, dans la collection des plâtres, une place plus large à l’art français, depuis le moyen âge jusqu’aux temps modernes. En effet, sur ce point encore, la liste des modèles présente de bien fâcheuses lacunes. Elle ne comprend que quelques chapiteaux, rosaces et frises de nos églises, alors que la collection du Trocadéro rend si faciles le choix et l’acquisition de belles figures sculpturales taillées par nos vieux imagiers.
Ces observations critiques une fois faites, viennent les Instructions positives. Elles sont présentées avec une netteté telle qu’elle rend tout commentaire presque inutile. Nous nous contenterons donc d’en détacher les points principaux, en citant le texte même.
En premier lieu est posé un principe en vertu duquel, lorsqu’il sera appliqué, l’enseignement du dessin, demeuré longtemps comme en marge, se trouvera vraiment incorporé à l’éducation universitaire : « L’enseignement du dessin dans les lycées et collèges de l’État ne peut pas être séparé des autres enseignements; il doit se conformer à la méthode générale des programmes adoptés de 1902 à 1905. Dans les classes enfantines, ­préparatoires et élémentaires, l’instruction est principalement fondée sur des leçons pratiques et concrètes. Peu à peu, à mesure que l’intelligence de l’enfant se développe, la théorie et les connaissances abstraites prennent plus de place dans l’éducation. Il est clair que l’enseignement du dessin doit évoluer dans le même sens. » La courbe qu’il aura à suivre est ainsi comme toute tracée; après avoir accompagné et fortifié les humbles leçons de choses, « il s’élèvera à des exercices d’observation plus compliqués pour aboutir enfin au développement du sens esthétique et à l’intelligence des œuvres d’art ».
Pour qu’il puisse remplir une telle destination, une seule méthode est possible : celle qui, « à l’imitation des anciens et des grands maîtres, prend pour base l’observation directe de la nature, c’est-à-dire des objets réels et des formes vivantes». Il faut surtout bien entendre que, lorsqu’on parle d’observation directe de la nature, on prétend n’exclure aucun élément naturel, qu’on envisage non seulement la représentation des formes, mais aussi celle des couleurs et des reliefs. Partant l’écolier ne sera plus condamné à n’avoir d’autre outil que le crayon à la mine de plomb. « Tous les procédés pratiques peuvent être employés : dessin au trait, emploi des crayons de couleur, de l’encre de Chine et de l’aquarelle, modelage. »
En mettant ainsi à la disposition des élèves tous les procédés de traduction, on a surtout pour objet de favoriser le libre jeu de leurs facultés diverses; en contact avec la nature sous toutes ses formes, libres de l’observer par les aspects qui les touchent le plus, de l’interpréter par tous les moyens pratiques qui peuvent être employés, le sentiment n’est plus étouffé chez eux; ils sont comme invités à produire l’impression personnelle qu’ils reçoivent du modèle. D’autre part, à l’aide de certains exercices appropriés (illustrations de jeux d’enfants, de récits d’histoire, de fables et de contes), on encourage leurs facultés imaginatives Enfin, comme on l’a bien dit, on a ainsi «une éducation vraiment complète des sens et de l’esprit dans leur contact avec la richesse des choses perçues ».
Au reste, il ne faut pas croire que la méthode géométrique soit frappée d’une éviction absolue ; vient une heure où elle peut prendre légitimement sa place dans l’enseignement du dessin; cette place, on ne la lui refuse pas. « A mesure que l’enfant grandit et que son intelligence mûrit, le maître s’attachera de plus en plus aux qualités d’exactitude et de correction dans le rendu des modèles. » Et ce moment sera précisément marqué par la marche des études générales ; il viendra quand le professeur de dessin pourra utiliser « les notions de mathématiques et de géométrie, acquises dans d’autres classes, pour insister sur les questions de mesures, de proportions, de perspective ».
Il convient, en outre, que la marche parallèle entre les diverses matières de l’enseignement ne soit pas établie sur ce seul point; il importe de coordonner le dessin à l’ensemble des autres études. Par exemple, on profitera des programmes d’histoire « pour aborder l’étude des œuvres du passé, pour parler de l’art égyptien, assyrien, grec, romain, français, en plaçant dans la classe quelques modèles bien choisis... Les études des sciences naturelles peuvent aussi fournir matière à des choix de modèles intéressants. »
Dans le paragraphe de son rapport qu’il intitule : Compléments aux Programmes actuels, M. Pottier se trouve alors naturellement amené à déplorer « la lacune profonde que présente l’enseignement de l’histoire de l’art dans les lycées de garçons et de filles ». Il lui paraît qu’il est logique de lier l’histoire de l’art à l’enseignement du dessin. Toutefois, il ne s’agit pas, selon lui, « d’en faire l’objet d’un cours proprement dit, qui serait confié au professeur de dessin ». Il suffirait pour l’heure présente et « il serait facile, au cours du second cycle et outre les notions générales données par le maître de dessin, d’organiser quelques leçons spéciales, portant sur les grandes époques de l’art, qui seraient faites par un professeur du lycée, quel qu’il soit, pourvu qu’il ait la compétence nécessaire, soit par une personne du dehors, ainsi que cela se pratique déjà dans certaines écoles normales ». Dans tous les cas, il est indispensable de faire quelque chose ; car « il est temps que l’histoire de l’art français s’incorpore à l’enseignement français du dessin, au moment où la classe de dessin cherche à s’incorporer elle-même aux autres classes du lycée et réclame l’honneur de faire sa partie dans l’œuvre totale de l’éducation nationale ».
Comme on voit, le rapporteur de la Commission ne perd jamais de vue cette idée que le dessin ne doit plus être réduit à une technique étroite et spéciale, mais qu’il faut le tenir pour une pièce essentielle de notre système éducatif. Voilà pourquoi il exprime instamment le vœu qu’il ne reste facultatif dans aucune classe de l’enseignement secondaire, ni pour les garçons, ni pour les filles. On sait de reste, en effet, que les élèves sont trop portés à considérer comme inexistant tout enseignement facultatif. Actuellement, le dessin cesse d’être obligatoire pour les jeunes gens dans les sections A et B de la classe de première, pour les jeunes filles en quatrième et cinquième années[9]. Pour l’avenir de la réforme, pour qu’elle puisse produire tous ses effets, il est très souhaitable que cette disposition soit modifiée[10].
En outre, si l’on ne veut pas manquer le succès, il faut qu’une autre mesure soit prise sans tarder. — On n’ignore pas que la méthode nouvelle, que les programmes nouveaux répondent aux vœux de beaucoup de maîtres, que plusieurs, pénétrés de leurs tendances, en ont déjà fait l’essai et, plus ou moins discrètement, en ont tenté l’application avant l’heure de la consécration officielle. Pourtant, on ne peut se le dissimuler, c’est à un personnel ancien, dont certains membres peuvent avoir, sinon leurs préjugés, au moins leurs habitudes, que l’on demande de faire une œuvre nouvelle. La Commission a donc considéré qu’une refonte des programmes d’examen pour le professorat du dessin était le corollaire indispensable de la réforme des programmes, et, bien qu’elle n’eût pas pour office d’examiner cette question, elle a jugé qu’elle ne pouvait se dispenser d’en indiquer l’importance.
Pendant la période de transition qui s’écoulera jusqu’au jour où le personnel sera renouvelé, le personnel en exercice ne sera, d’ailleurs, pas abandonné à lui-même. «Nous ne pouvons, dit M. Pottier, songer à refaire de fond en comble l’éducation de professeurs qui, souvent depuis de longues années, pratiquent l’enseignement ; à ceux-là nous ne pouvons donner que des conseils et des exhortations pour modifier et améliorer leur méthode. » C’est parler avec beaucoup de modestie. Si l’on examine le détail des nouveaux programmes, on voit en effet que chacune de leurs parties est accompagnée d’Instructions, présentées sous une forme brève, mais qui n’en forment pas moins un guide pédagogique très complet, à l’aide duquel le professeur peut marcher sans crainte de faire fausse route. Avec raison l’on n’a pas cru devoir se borner à des directions générales; on n’a pas dédaigné de donner des indications qui, très circonstanciées, attestent le sens le plus juste et le plus pénétrant de ce qui se peut et doit obtenir. Tout permet donc d’espérer que la réforme, malgré ce qu’elle offre de radical, pourra sans grandes difficultés entrer dans la pratique. Au début, sans doute, quelque flottement est inévitable; mais il ne saurait se prolonger. L’orientation générale a été marquée de façon trop nette et trop ferme pour n’être pas bientôt comprise et suivie : « En toutes choses le maître se persuadera que le meilleur moyen de réussir est de faire aimer la pratique du dessin, d’en inspirer le goût par des exercices appropriés à chaque âge. La plus grande liberté et la plus grande initiative lui sont laissées, sous sa propre responsabilité, pour découvrir les moyens de rendre le dessin attrayant et pratique. En tant qu’éducateur il a pour tâche de développer : 1° la sensibilité de l’enfant pour qu’il apprenne à aimer ce qui est beau ; 2° la personnalité de l’enfant, pour qu’il apprenne à voir et à penser par lui-même
 Le bon maître devra exciter plus que critiquer, suggérer plus que corriger, proposer plus qu’imposer, se régler sur l’allure de ses élèves et s’adapter à leur mesure, au lieu de les régler tous sur la sienne. » Les professeurs de dessin ont prouvé dans ces derniers temps que la conception de leur rôle s’était relevée dans leur esprit; on leur propose là une tâche assez intéressante pour qu’ils ne soient pas tentés de s’y dérober et d’y faillir.

III
Au cours des discussions qui ont précédé l’adoption de la réforme, diverses objections ont été émises que nous ne saurions passer sous silence et qu’il convient d’examiner.
On a dit d’abord que la méthode nouvelle, en voulant s’appuyer sur la personnalité de l’enfant, bâtissait dans le vide, se condamnait à rester comme en l’air : car « la personnalité existe très peu chez les enfants ». C’est une objection d’ordre psychologique ; c’est une question de fait. Il se peut qu’elle ne soit pas encore complètement tranchée. Pourtant il nous semble bien que, pour la plupart, les observateurs de l’âme enfantine sont disposés à trouver en elle les marques d’une personnalité, sinon très forte, du moins nettement distincte. Sans doute, si l’on donne au mot de personnalité le sens de volonté, de caractère, il n’en peut être question chez les enfants ; mais ils ont des instincts, des goûts qui sont propres à leur âge; c’est là précisément ce dont la méthode nouvelle a affaire, ce qu’elle prétend stimuler, diriger, former, faisant en cela, d’ailleurs, le même office que les autres disciplines.
D’autres accordent que la personnalité existe bien chez l’enfant, mais ils contestent qu’il faille s’appliquer à la développer : car, on est ainsi conduit, disent-ils, à mettre l’enseignement individuel à la place de l’enseignement général, à faire prévaloir la fantaisie sur la règle, à tomber en plein dans l’anarchie. Ceux-là, ce sont les autoritaires : Eugène Guillaume naguère avait très clairement exprimé le fond de leur pensée, quand il disait : « N’est-ce pas un danger de faire appel à l’initiative et à l’indépendance, quand il ne conviendrait que d’ordonner et de discipliner les esprits ?» Pour répondre à cela, il faudrait ici reprendre tous les arguments qui ont été allégués dans le débat général entre la pédagogie d’autorité et la pédagogie libérale. Nous n’avons ni assez d’espace ni assez de loisir pour essayer rien de pareil. Qu’il nous suffise de faire remarquer que, depuis déjà longtemps, les éducateurs autoritaires ont été contraints de battre en retraite sur presque tous les points, que de plus en plus la pédagogie moderne s’inspire de l’idée de Montaigne , disant que le bon maître ne doit pas tenir son élève en bride, mais le faire trotter devant lui pour juger de son train. Ajoutons qu’entre l’ordre et la liberté l’antagonisme n’est peut-être pas aussi irréductible que les esprits tranchants se plaisent à le prétendre, et remarquons de plus que les promoteurs de la nouvelle méthode, tout en s’inspirant surtout de la liberté, ne lui ont pas cependant sacrifié l’autorité d’une façon absolue, mais que, très sagement, ils visent plutôt à ]a conciliation des deux principes.
Les réformateurs trouvent aussi un groupe d’adversaires chez ceux qui ne veulent pas entendre parler d’enseignement attrayant. Vouloir que les enfants prennent du plaisir à dessiner, c’est, à leur compte, faire un amusement de ce qui doit être une étude. Ils rappellent le temps où le dessin était tenu pour un art d’agrément et ils montrent le néant des résultats alors obtenus.     — A vrai dire, la méthode Guillaume a rendu service en réagissant contre cette conception du dessin ; mais n’a-t-elle pas poussé la réaction trop loin, quand elle en a fait presque un « art de désagrément » ? Il n’est pas douteux non plus que l’enseignement attrayant comporte des abus qu’il faut éviter, qu’il est une mesure où il doit se tenir, qu’il y aura toujours une part de vérité dans l’opinion de Galiani soutenant qu’une des fins de l’éducation, c’est d’apprendre aux enfants à supporter l’ennui. Mais, tout pesé, les abus de l’enseignement attrayant ne sont pas inévitables ; il n’est pas du tout impossible qu’il garde la juste mesure. D’autant que cette sorte d’enseignement ne date pas d’hier ; depuis l’époque où les maîtres d’école de la Rome antique donnaient aux petits enfants des lettres figurées en ivoire pour qu’ils apprissent l’alphabet en se jouant, on a eu tout loisir de le mettre à l’épreuve, d’en observer le fort et le faible, et il est devenu assez aisé de se garder des inconvénients qu’il peut offrir.
Ces objections, comme on le voit, ne s’appliquent pas spécialement à la méthode nouvelle d’enseignement du dessin, mais à des tendances générales de la pédagogie moderne. Il en est d’autres qui serrent le sujet de plus près, qui ont un caractère plus topique. Celles-là viennent plutôt du côté des artistes que des éducateurs. « Vous prétendez, dit-on aux réformateurs, donner une éducation esthétique aux écoliers, former en eux le sens des choses de l’art, développer le goût du beau. Bone Deus ! quelle malencontreuse entreprise ! Ne trouvez-vous donc pas qu’il est déjà assez de gens qui, à tort et à travers, se mêlent de juger les tableaux et les statues? Cette engeance insupportable de dilettantes instruits moins qu’à moitié, grâce à vous, nous allons la voir pulluler plus encore. Il y a pire ; vous mettez à la disposition de vos jeunes élèves tout le matériel de l’artiste; vous les invitez à s’essayer dans tous les genres de travaux que l’artiste exécute. Qu’en arrivera-t-il ? que, chaque année, les lycées et collèges lâcheront par le pays des légions de peintres-amateurs. L’espèce en est-elle donc aujourd’hui si rare ? Trouvez-vous vraiment qu’on en chôme? Vous avez, on le sait bien, les plus nobles intentions du monde : vous songez à relever le niveau du goût public. C’est son abaissement que vous préparez. Quand vos potaches auront attrapé quelques bribes d’histoire de l’art, la critique des bourgeois ne sera guère plus éclairée et montrera plus de pédantisme; quand tout collégien maniera le pinceau, c’en sera fait de cette sainte pudeur que l’artiste sent devant l’œuvre à exécuter. » On ne saurait nier qu’il y ait quelque chose de fondé dans ces appréhensions ; mais leur exagération est manifeste. Certes il y aura de petits nigauds qui, pour avoir lavé quelques aquarelles, brossé quelques toiles et appris quelques termes d’art, joueront à l’artiste et au critique. Mais, parce que des lycéens échappés envoient aux journaux de mauvaise copie, brochent des romans ou des volumes de vers illisibles, faut-il donc supprimer l’exercice de la composition française et la lecture des grands poètes? La suffisance, l’outrecuidance sont des travers de caractère que manifesteront toujours ceux qui en sont atteints, quelque enseignement qu’ils aient reçu. Il n’en reste pas moins que, plus un enseignement sera intelligent et vivant, plus il profitera aux esprits sensés et modestes, à ceux qui ont de la distinction. C’est cette élite qui travaillera au relèvement du goût public ; c’est elle que l’on veut mettre mieux en mesure d’y travailler avec succès.
Reste enfin ce que j’appellerai l’objection de la dernière heure, car elle a été présentée par M. Louis Hourticq dans un article publié par le Journal des Débats à la fin du mois de décembre 1908. Au gré de M. Hourticq, les réformateurs de l’enseignement du dessin ont pris des soins bien inutiles; leurs efforts resteront fatalement sans résultat, parce que le système général des études secondaires va à leur encontre. Ce système, en effet, ignore le langage des formes et oblige les écoliers à tenir leurs yeux fermés. « Il arrive à des aveugles de s’engager dans le cycle de nos études secondaires et on les admire de ce qu’ils montrent sur leurs condisciples une supériorité marquée. On ne réfléchit pas qu’il ne leur manque aucune des facultés utilisées et cultivées par notre enseignement; ils ne voient pas ; mais leurs camarades ne doivent pas regarder. Leur mémoire verbale se développe naturellement beaucoup, ce qui convient à un enseignement grand assembleur de mots et contempteur d’images. L’Université est une douairière qui parle bien, mais qui a la vue basse... » Et M. Hourticq poursuivant son propos, « parmi les nombreux maîtres, dit-il, qui parlent successivement devant les élèves, celui-là seul exerce sur eux une forte empreinte qui est le plus souvent avec eux et leur enseigne une matière importante du programme. Ce n’est jamais le professeur de dessin. Au maître de littérature, d’histoire ou de sciences, il revient de mêler constamment à son enseignement des notions plastiques et l’usage du dessin; l’éducation tout entière doit être imprégnée de préoccupations visuelles ; alors on apprendra à dessiner comme on apprend à lire et à écrire, sans y songer. Le professeur de dessin n’aura plus qu’à enseigner la syntaxe de cette langue entrée dans l’usage. » Tant qu’on n’en sera pas venu là, il n’y aura rien de fait et rien ne se pourra faire. En somme, d’après M. Hourticq, la réforme de l’enseignement du dessin doit être précédée par une réforme générale de l’esprit, des visées, des procédés de tous les enseignements divers. Ce n’est pas peu.
On entend bien que M. Hourticq ne s’est pas interdit de se jouer en écrivant son article. Tout de même il y a quelque chose à en retenir. Quand il dénonce le verbalisme de l’enseignement secondaire, la critique est outrée, mais ne porte pas complètement à faux, et il est très bien de vouloir que l’Université s’applique à ne plus « sacrifier chez ses élèves toute la part d’intelligence et de sensibilité qui est commandée par le sens visuel ». Il faut reconnaître aussi qu’il serait excellent « que les professeurs d’histoire ou de lettres fussent dessinateurs », qu’il y aurait profit pour la culture générale des enfants, si ces maîtres savaient « expliquer au tableau la théorie du temple grec, ou même les mérites plastiques de l’École d’Athènes ». Mais on n’en est pas là, il s’en faut; la transformation du personnel enseignant, que M. Hourticq appelle de ses vœux, ne peut se faire en un jour ni d’un seul coup. C’est une entreprise de longue haleine. En dépit de M. Hourticq, il ne nous semble pas que la réforme de l’enseignement du dessin n’en doive être de nécessité que l’aboutissement; nous croyons, au contraire, qu’elle en peut très bien marquer le point de départ. Voilà justement, croyons-nous, quelle a été la pensée directrice des auteurs du nouveau programme; elle se fait assez clairement entendre par le soin qu’ils ont pris d’établir une coordination entre les classes de dessin et celles des autres professeurs. Dans l’édifice universitaire, le dessin jusqu’à présent n’occupait tout au plus qu’une annexe ; les portes aujourd’hui lui sont toutes grandes ouvertes; il est de la maison. Sans avoir l’esprit chimérique, on peut espérer qu’insensiblement il pourra en changer l’air.
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Que l’on retienne plus ou moins des critiques que nous avons rappelées, on ne peut nier en tout cas que, par l’esprit qui l’inspire, la réforme de l’enseignement du dessin se rattache au mouvement en vertu duquel l’Université tend à restreindre de plus en plus la part de l’abstraction. L’abstraction, on s’efforce de la réduire à la portion congrue, même dans son domaine propre. Qu’on se rappelle l’article que M. J. Tannery écrivit ici même sur l’Enseignement de la Géométrie : « C’est, disait-il, sur les choses qu’ils [les débutants] auront à raisonner; il faut les habituer à regarder les choses.... Loin de leur apprendre à se défier de l’intuition, il faut développer cette intuition, leur montrer qu’ils la possèdent, leur donner peu à peu confiance en eux-mêmes. Il faut, avant tout, les intéresser : l’ennui, la dépression qui en résulte, voilà le véritable ennemi. » On ne peut songer sans surprise que l’enseignement qui, par sa nature, comporte le moins l’abstraction, où l’intuition est le mieux à sa place, ait été le dernier à marcher dans le sens de la pédagogie moderne. Mais enfin cette évolution est accomplie et, désormais, l’enseignement du dessin a la même orientation que les autres disciplines et est remis en harmonie avec les directions pédagogiques du système général des études universitaires. Il n’est pas douteux que ce soit là un principe de force. C’est ce que M. Belot a fait ressortir dans le Rapport sur la réforme qu’il a présenté au Conseil supérieur. Pour terminer cet article, nous ne saurions mieux faire que de citer les lignes qui servent de conclusion à ce remarquable travail : « Si, dit M. Belot, nous avons remplacé dans l’enseignement des langues une méthode tout analytique et toute grammaticale par une méthode plus directe et plus vivante, si nous ne voulons plus une histoire faite de dates et où traînent des cadavres d’événements, mais un tableau animé de la vie des peuples et des institutions, si la philosophie même tend à s’écarter d’une vaine scolastique et d’une dialectique abstraite pour aspirer à n’être que l’intelligence directe du monde et de l’homme, si enfin dans toutes les choses de la nature ou de l’esprit nous ne voulons plus voir des mécanismes faits de pièces rapportées, mais le mouvement incessant de la vie et de la pensée, nous devons aussi accueillir avec sympathie le programme qui est proposé à votre acceptation et à la bonne volonté de nos maîtres. Il s’inspire des mêmes principes, il reflète le même esprit, il est en harmonie avec l’ensemble de l’œuvre éducatrice que nous voudrions parfaire. »

MAURICE PELLISSON.

 

[1] Voir ce que MM. Bayet et Pottier ont dit à ce sujet aux Conférences du Musée pédagogique.
[2] Plus tard ce Musée fut transféré (en partie) au Musée pédagogique.
[3] Voir la Monographie de l’enseignement du dessin, par J.-J. Pilet dans le tome IV des Monographies pédagogiques publiées à l’occasion de l’exposition de 1889.
[4] Voir Monographie de l’enseignement du dessin, déjà cité.
[5] Dans le Dictionnaire de Pédagogie, article DESSIN. 
[6] M. Catelain, professeur de dessin au lycée Buffon, a adressé à M. le Directeur de l’Enseignement secondaire un Rapport sur l’Exposition de dessins d’élèves qui a été faite à Londres, en 1908. Ce Rapport manuscrit, dont on a bien voulu nous donner communication, rend fidèlement compte de la transformation de l’enseignement du dessin, à l’étranger. Sur ce que ce mouvement fut en Allemagne dans les vingt dernières années, nous nous permettons de renvoyer à l’article que nous avons publié dans le numéro de la Revue pédagogique d’août 1902.
[7] Fondée en 1905.
[8] Voici dans quel ordre ces conférences se succédèrent et l’indication des sujets qui ont été traités : MM. Guébin, Les bases rationnelles de l’enseignement de la forme et de la couleur; Keller, Les méthodes actuelles de l’enseignement du dessin à l’étranger; Quénioux, La méthode intuitive; Cathoire, La préparation normale des professeurs de dessin; Francken, L’Enseignement du dessin et ses applications professionnelles. — Ces conférences, qui forment le quatorzième fascicule des Publications du Musée pédagogique (nouvelle série), sont en vente à la librairie A. Colin, 3 fr. 50. Nous devons signaler ici que, dans ces derniers temps, la Bibliothèque du Musée pédagogique s’est enrichie de nombreux ouvrages et documents relatifs à l’enseignement du dessin tant en France qu’à l’étranger. Au catalogue, la rubrique Dessin fait en ce moment l’objet d’un travail de remaniement, et ce travail sera prochainement imprimé.
[9] Les programmes des lycées et collèges de jeunes filles sont établis sur les mêmes hases que les programmes des lycées et collèges de garçons. Quelques différences existent néanmoins et elles portent : 1° sur la répartition des matières qui a dû être faite par année; sur le détail des exercices, et entre autres sur certains points d’éducation pratique, comme les applications de composition décorative. Le rapport sur ces programmes a été rédigé par Mme Silvain-Dufour.
[10] On a proposé d’introduire une composition de dessin parmi les épreuves du baccalauréat; elle serait facultative; niais ceux qui y auraient satisfait en verraient mention inscrite sur leur diplôme. Une solution n’est pas intervenue; mais la question est posée, et c’est déjà quelque chose.

Dessin à l'école

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